Chroniques matheysines- Beranger-Achèvement

Le dernier des trois textes de Béranger, par AlbanK

" Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir "
S Beckett.


Étang.
Noir
Enceint de lune.
Ourlé des bois.
Crénelé des sommets rouges, encore illuminés par le jour qui s’enfuit.
Œil d’eau, vert.
Crépuscule, chauve souris.
Chaude brise dans l’air mouvant de solitude.
Été.
Nymphe sur le miroir de l’eau.
Naissance de la nuit, au pied de la colline.

Valbonnais.


C’est un oiseau, nocturne, qui caresserait du regard ce monde oublié de la mémoire.
C’est une main câline sur la joue d’une fille.
C’est, contre le tronc, ce cheval dérisoire des enfants trop grandis, mobylette, désirs troublants d’espaces infinis, de libertés non acquises, arrachées à nos rêves, à défendre déjà.


C’est, c’était, ce serait, ce sera.
Non, ce ne sera point, jamais.
Ce fut, c’est tout.


Dans mes bras, longtemps, où tu voulais dormir, alors que le village se dissolvait dans la pénombre au crépuscule.
Ombres, glissant dans les ruelles désertées, trottoirs vidés de pas, trottis des chats dans les angles asséchés où meurent les souris, les rats, les cafards, les araignées, les horreurs.

Aboie d’un renard, cri, craquements secs et l’essor d’une de truite, giflant le calme miroir soudain brisé de l’eau qui dort, cette surface dans laquelle, Narcisse de misère, les pales étoiles viennent se mirer avant leur mort, à l’aube.

Longtemps, ainsi, tu voulais demeurer, longtemps, et rien ne fut.

Sous la brise claire de la nuit tiède, on n’entendait rien d’autre que le lent frôlement des deux corps emmêlés, murmures juste dévoilés, serments à jamais trahis, langueurs tendres et humides des baisers de la bouche, Nathalie, il n’en restera rien.

Rien.
Rien.
Rien.


Alors, déjà, tu voulais, car tu savais le mal et la déraison vers laquelle tous nous plongeons, Nathalie, ce corps qui appelait, qui se tordait, qui ordonnait à moi, à moi qui restais sourd, ignorant, craintif, aveugle, aveuglé et minable.

Là, couchée dans les graminées folles, tu devinais aussi la souffrance que nous autres, les hommes, mes frères, portons en notre sein.

Ce désir qui te brûlait et qui irradiait sur nous, je le craignais comme je crains la Mort, comme je crains l’injustice, comme je crains la joie-même de vivre et d’être heureux avant que tout ne s’efface, que tout ne disparaisse, que tout ne soit réduit en cendres, en poussière, verre brisé, ferrailles tordues, dalles fracturées, ciments éclatés, mâchefer fumant sur les ruines écoeurantes de mes échecs et de mon renoncement.

Et tes mains dans mes cheveux, et ton souffle et tes dents, ô morsure terrible, alors que je suçais goulûment la pointe de tes petits seins de rocher, alors que je pressentais la courbure où ton corps irait, glissant, s'abîmant, se sacrifier entre mes bras, contre mon torse, contre ma bouche et dans le halètement des amants que la nuit, complice de toujours , unit et protège, non, rien de tout ça ne fut, non, rien de rien, Nathalie, rien ne se fit, rien de cet espoir qui te mangeait l’âme, de ce désir terrifiant et tellement déchirant, rien de moi, non jamais, n’est entré dans ton ventre…




D’autres temps sont venus.

Elle est partie Nathalie, un jour, vers d’autres bras, vers d’autres mains, vers d’autres mots, d’autres mensonges, qu’aurait-il pu la retenir…


Rien n’a changé, rien.
Ni les arbres, ni les chemins, les sentes dans les fougères, les buissons mystérieux, les pics déchirant l’azur, rien.
Ni la pluie, ni les hommes, ni jours, ni les nuits, ni les sources où tu coulais ton corps de princesse nue, rien.

Brune étincelle, vivante statue, beau corps d’albâtre aux contours parfaits et précieux, sourire d’assassine, amante de toujours, petite sœur de mon cœur affolé, passion, été d’orages, Col de la Muzelle, Lauvitel, Turbat, monts incertains, sommets jamais atteints, et au couvert de ce bosquet complice, dans les bras d’or des blés mûrs, quand tu glissais à travers ta culotte de cotonnade fine ma main experte en rien, quand tes yeux-vitraux de nécropoles se fermaient sur tes « je veux », Déesse amante de quinze ans, je vous ai tant aimé,
Je vous ai tant aimé.
Je vous ai tant aimé.
Je vous ai tant aimé.

Que reste-t-il de tes pas de danse sur la mousse ?
Qu’est-il advenu de nos avenirs, de nos souffrances, des espoirs qui nous portaient, du désespoir que nous ne comprîmes que trop tard ?

Rien.
Rien ?
Rien.

Non rien de tout cela, rien de nous ni de vous toutes, toutes ces Nathalie du passé, rousses, blondes ou brunes.

Rien qu’un nom, peut-être, effacé déjà, un parfum, sans doute ou une forme passant dans le souvenir…
Même pas un geste, pas une lettre, la vie passe tellement vite entre quatorze et vingt ans.
Où sont les instants si doux, les déchirures, les retrouvailles amoureuses, le bruit des baisers qu’on réclame et qu’on donne ?
Où sera notre lot de tendresse, Nathalie, à l’heure venue ?
Où serez-vous, toutes disparues, lorsqu’on viendra nous chercher pour notre dernière aube ?
Lorsque la lame précise et acérée des fascismes nouveaux viendra trancher le tendre de nos gorges tendues, où serez-vous ?
Où serez-vous, douces âmes, quand la boue obstruera la gorge et les narines, quand l’étouffement viendra de mains infâmes, juste bonnes à tuer, asservir, mutiler …
Qu’adviendra-t-il de nous lorsqu’on écrasera les doigts des musiciens, que l’on arrachera les yeux des peintres, qu’on coupera la langue des poètes ?
Où seront vous mains pleines de savantes caresses, vos bouches-offrandes à venir, lorsqu’on nous jettera par tas dans des fleuves inconnus, ballots d’hommes liés de fer barbelés, noyés pêle-mêle dans des eaux glacées, sans nom, dans ces canaux horribles d’eaux sombres, d’eaux acres, d’eaux amères.

Noyés, bouche ouverte entre deux eaux, loin, si loin des torrents et des rus, des sources d’aube fine, d’éclatante joaillerie, jaillissement de l’artère neuve du roc, Bérenger ô Bérenger, quel coquin tu fais …

Où serez-vous Nathalie de toutes les femmes, de toutes les filles, de toutes les amantes quand, fleurissant, les fusils feront naître sur nos poitrails déchiquetés des champs de coquelicots à jamais écarlates ?

Qu’adviendra-t-il de notre amour, de notre joie lorsque la terre couvrira nos visages de cire ?

Dans la fosse commune, qui nous tiendra la main ?





Il courut vers elle, dans le bruit formidable du torrent.
Un peu, ils se regardèrent et se sourirent enfin, puis, insensiblement, leurs bouches décidèrent, ensemble.
Leurs lèvres donnèrent le premier de leurs baisers.
Ils restèrent longtemps entremêlés de souffles nouveaux, étonnés de bonheur et emplis de légendes…

Là, au bord de l’eau, les langues se reconnurent et parlèrent les mots de la tendresse et du désir.
Là, au bord de l’eau, les mains trouvèrent les mains et les corps apprirent le contour des corps.
Caresses, douceur, baiser, amour enfin.
Une étoile naquit.




Au bord du Bérenger un imbécile heureux tomba amoureux d’une étoile brune.
Au bord du Bérenger, une étoile brune aima un imbécile heureux.
Et cet imbécile heureux,
C’était moi.







... à suivre, peut-être ...

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