Voici le dernier texte de JPB, un mini polar dont l'action se passe dans une salle d'escalade. Toute ressemblance avec un personnage ayant existé est-elle fortuite? Là est la question:
Le pauvre gars n’avait pas bougé depuis l’accident.
La jeune trentaine, souple et musclé tout à la fois, Gilbert Dolvec était prostré sur un des vieux divans couverts de magnésie de la salle d’escalade. Les yeux dans le vide, il paraissait vieilli de dix ans.
Pas que le commissaire Colas l’ai rencontré auparavant! Non, le commissaire Colas ne fréquentait pas les salles d’escalade sauf pour quelques fêtes d’enfants où sa présence était obligatoire, famille oblige. Il connaissait vaguement les règles de fonctionnement mais la salle des Francs était réputée pour être particulièrement bien tenue, une des meilleures au pays.
Le corps de Pierrot Valérien avait été emporté une dizaine de minutes plus tôt. Il ne restait, au sol, qu’une grosse prise d’escalade maculée de sang, quelques morceaux de cervelle et de cheveux et rien d’autre.
"On est peu de chose…" se dit le commissaire.
On attendait que les inspecteurs aient terminé les photos d’usage pour nettoyer la salle. Déjà, la vingtaine de personnes présentes dans la salle au moment de l’accident avait été interrogées. Rien à dire sur leurs témoignages. Tout concordait.
Vingt témoins en plus du principal intéressé et tout était ficelé. Pas une faille : le cas évident d’un accident causé par une imprudence de la victime. Personne ne saurait jamais ce qui avait poussé Pierrot Valérien à franchir la ligne de cônes de couleur orange délimitant clairement la zone dangereuse. Encore plus, tous les témoins affirmaient que déjà, dans la soirée, Gilbert Dolvec avait échappé deux grosses prises du toit qu’il était en train de peupler.
"Une voie à prises massives" qu’il avait dit à tout le monde en débutant son travail d’ouverture.
"Surtout, ne venez pas en dessous car je risque d’échapper un de ces monstres!" qu’il avait crié juste avant de se monter sur sa corde fixe. Et, comme de fait, il avait échappé deux monstres de couleur d’une hauteur de douze mètres. Tout le monde s’était retourné à cause du bruit mais le périmètre sécurisé était tellement vaste…
Et voilà que Pierrot Valérien se pointe, fait le tour de la salle en parlant à un peu tout le monde, salue Dolvec d’un geste de la main puis va mettre son harnais et ses chaussons. Il sort sa corde, grignote une barre énergétique en jetant un coup d’œil ça et là, va vers les cônes et, sans hésiter, il se décide à les ignorer pour entrer dans la zone interdite.Trop confiant sans doute… il était ouvreur depuis cinq ans… rien ne pouvait lui arriver!
Et une prise est tombée à ce moment et il l’a reçue en plein milieu du crâne!
Devant vingt personnes!
Dolvec était descendu immédiatement, zippant sur le bout mort de sa corde fixe.
Un coup d’œil avait suffit pour lui faire comprendre que son camarade était mort. Tout le monde lui avait dit que ce n’était pas sa faute, que c’était un malheureux accident. Que Valérien n’aurait jamais dû se trouver là. Que c’était Pierrot qui avait commit une imprudence.
Mais Gilbert Dolvec était inconsolable. Il s’était trainé les pieds jusqu’au vieux divan et le commissaire Colas l’y avait trouvé, marmonnant des excuses à qui voulait l’entendre. La déposition avait été courte : le pauvre ouvreur était trop sonné pour être d’une quelconque utilité.
"Allez, monsieur Dolvec! Je vous laisse… si vous pouviez être assez gentil pour passer au commissariat demain durant la journée et y signer votre déposition… nous pourrions conclure l’enquête. Tristes évènements mais il est clair que c’est un accident et que la responsabilité en incombe à votre confrère. Une faute d’inattention de sa part… trop de confiance en lui, sans doute! Écoutez… nous pouvons vous donner le nom d’un conseiller si le poids… vous savez… une aide psychologique pour passer au travers… »
Gilbert Dolvec esquissa un geste de la main et Colas cru entendre un vague remerciement. Le malheureux est effondré, se dit Colas. Quelle vie!
Gilbert Dolvec regarda le commissaire sortir de la salle. Les policiers qui restaient sur place évitaient soigneusement de lever les yeux sur lui, gardant la distance émotionnelle nécessaire à leur travail. Les clients étaient tous au vestiaire ou retourné à leurs domiciles. Gilbert Dolvec étira son bras pour récupérer le billet de $20 qui était collé sous son chausson droit tout neuf.
Et il le replaça prestement dans sa poche.
Pierrot Valérien ne savait pas résister à un billet. Il était toujours à quémander à l’un et à l’autre, c’était le pique-assiette par excellence!
Alors, un billet de vingt, vous imaginez!
Dès qu’il l’a vu, là, sur le plancher, le billet de vingt… rien, n’y personne, n’aurait pu l’arrêter! Il se serait jeté devant un train pour se l’approprier…
Ce qu’il ne savait pas, le Pierrot, c’est que le billet venait juste d’atterrir sous la plus grosse prise de la salle, celle qui ne pouvait pas le blesser.
C’était la prise assassine!
Ah, le Pierrot!
Jamais plus il ne critiquerait les voies de Gilbert…Jamais plus il ne changerait les prises dans les crux des voies de Gilbert sous prétexte que c’était trop dur…Jamais plus il ne démonterait les voies de Gilbert pour les remplacer par les siennes, la nuit précédant une compétition…
Parce que Pierrot Valérien était finalement mort. Parce que Gilbert Dolvec savait bien échapper.
Jean Pierre Banville, février 2008
Le pauvre gars n’avait pas bougé depuis l’accident.
La jeune trentaine, souple et musclé tout à la fois, Gilbert Dolvec était prostré sur un des vieux divans couverts de magnésie de la salle d’escalade. Les yeux dans le vide, il paraissait vieilli de dix ans.
Pas que le commissaire Colas l’ai rencontré auparavant! Non, le commissaire Colas ne fréquentait pas les salles d’escalade sauf pour quelques fêtes d’enfants où sa présence était obligatoire, famille oblige. Il connaissait vaguement les règles de fonctionnement mais la salle des Francs était réputée pour être particulièrement bien tenue, une des meilleures au pays.
Le corps de Pierrot Valérien avait été emporté une dizaine de minutes plus tôt. Il ne restait, au sol, qu’une grosse prise d’escalade maculée de sang, quelques morceaux de cervelle et de cheveux et rien d’autre.
"On est peu de chose…" se dit le commissaire.
On attendait que les inspecteurs aient terminé les photos d’usage pour nettoyer la salle. Déjà, la vingtaine de personnes présentes dans la salle au moment de l’accident avait été interrogées. Rien à dire sur leurs témoignages. Tout concordait.
Vingt témoins en plus du principal intéressé et tout était ficelé. Pas une faille : le cas évident d’un accident causé par une imprudence de la victime. Personne ne saurait jamais ce qui avait poussé Pierrot Valérien à franchir la ligne de cônes de couleur orange délimitant clairement la zone dangereuse. Encore plus, tous les témoins affirmaient que déjà, dans la soirée, Gilbert Dolvec avait échappé deux grosses prises du toit qu’il était en train de peupler.
"Une voie à prises massives" qu’il avait dit à tout le monde en débutant son travail d’ouverture.
"Surtout, ne venez pas en dessous car je risque d’échapper un de ces monstres!" qu’il avait crié juste avant de se monter sur sa corde fixe. Et, comme de fait, il avait échappé deux monstres de couleur d’une hauteur de douze mètres. Tout le monde s’était retourné à cause du bruit mais le périmètre sécurisé était tellement vaste…
Et voilà que Pierrot Valérien se pointe, fait le tour de la salle en parlant à un peu tout le monde, salue Dolvec d’un geste de la main puis va mettre son harnais et ses chaussons. Il sort sa corde, grignote une barre énergétique en jetant un coup d’œil ça et là, va vers les cônes et, sans hésiter, il se décide à les ignorer pour entrer dans la zone interdite.Trop confiant sans doute… il était ouvreur depuis cinq ans… rien ne pouvait lui arriver!
Et une prise est tombée à ce moment et il l’a reçue en plein milieu du crâne!
Devant vingt personnes!
Dolvec était descendu immédiatement, zippant sur le bout mort de sa corde fixe.
Un coup d’œil avait suffit pour lui faire comprendre que son camarade était mort. Tout le monde lui avait dit que ce n’était pas sa faute, que c’était un malheureux accident. Que Valérien n’aurait jamais dû se trouver là. Que c’était Pierrot qui avait commit une imprudence.
Mais Gilbert Dolvec était inconsolable. Il s’était trainé les pieds jusqu’au vieux divan et le commissaire Colas l’y avait trouvé, marmonnant des excuses à qui voulait l’entendre. La déposition avait été courte : le pauvre ouvreur était trop sonné pour être d’une quelconque utilité.
"Allez, monsieur Dolvec! Je vous laisse… si vous pouviez être assez gentil pour passer au commissariat demain durant la journée et y signer votre déposition… nous pourrions conclure l’enquête. Tristes évènements mais il est clair que c’est un accident et que la responsabilité en incombe à votre confrère. Une faute d’inattention de sa part… trop de confiance en lui, sans doute! Écoutez… nous pouvons vous donner le nom d’un conseiller si le poids… vous savez… une aide psychologique pour passer au travers… »
Gilbert Dolvec esquissa un geste de la main et Colas cru entendre un vague remerciement. Le malheureux est effondré, se dit Colas. Quelle vie!
Gilbert Dolvec regarda le commissaire sortir de la salle. Les policiers qui restaient sur place évitaient soigneusement de lever les yeux sur lui, gardant la distance émotionnelle nécessaire à leur travail. Les clients étaient tous au vestiaire ou retourné à leurs domiciles. Gilbert Dolvec étira son bras pour récupérer le billet de $20 qui était collé sous son chausson droit tout neuf.
Et il le replaça prestement dans sa poche.
Pierrot Valérien ne savait pas résister à un billet. Il était toujours à quémander à l’un et à l’autre, c’était le pique-assiette par excellence!
Alors, un billet de vingt, vous imaginez!
Dès qu’il l’a vu, là, sur le plancher, le billet de vingt… rien, n’y personne, n’aurait pu l’arrêter! Il se serait jeté devant un train pour se l’approprier…
Ce qu’il ne savait pas, le Pierrot, c’est que le billet venait juste d’atterrir sous la plus grosse prise de la salle, celle qui ne pouvait pas le blesser.
C’était la prise assassine!
Ah, le Pierrot!
Jamais plus il ne critiquerait les voies de Gilbert…Jamais plus il ne changerait les prises dans les crux des voies de Gilbert sous prétexte que c’était trop dur…Jamais plus il ne démonterait les voies de Gilbert pour les remplacer par les siennes, la nuit précédant une compétition…
Parce que Pierrot Valérien était finalement mort. Parce que Gilbert Dolvec savait bien échapper.
Jean Pierre Banville, février 2008
Commentaires
- Même pas mal, répondirent les piolets à l'attaque ophtalmique.
Lâchement attaqués par des poussins ophtalmiques à poils longs!
Pour info, les autres chroniques de JPB sont ici:
http://pagesperso-orange.fr/lesduc/pages/pageintrojpb.htm