Comment c'était avant?

Extrait de l'Echo de la combe du pre (octobre 2006)
Comment c'était avant?
Je ne sais pas pour vous, mais souvent dans mes instants contemplatifs, lorsque au bout d’un rang je me relève et m’accorde quelques secondes de rêveries, il revient souvent dans mon esprit cette question. Je vous emmène aux Chevrières par exemple, là où je produis mon Pinot Blanc ; nous sommes sur le haut du coteau, altitude 360 mètres, la côte vous le savez peut-être est orientée vers l’Est (l’exposition au soleil levant est à mon avis très importante pour la vigne). Par temps très clair , ces conditions ne reviennent que quelques jours dans l’année, on distingue très bien le Mont Blanc et presque toutes ces voisines, aiguilles et pointes, qui paraissent le toiser et envier sa majesté. Il sort du lointain, le soir, éclairé par la lueur rosée du soleil en train de disparaître, comme une pyramide de meringue à la fraise ; ou même pourrait-on imaginer Zeus drapée dans un drap blanc sur son Olympe alpestre.Entre lui et moi, je contemple une multitude de plans, depuis la végétation toute proche, jusqu’aux forêts lointaines qui donnent ce moutonnement verdâtre informe et indéfini, chaque fois le regard est neuf car chaque fois un petit détail a changé, une fumée, un souffle de vent vont venir modifier le tableau. La nature vivante elle aussi va jouer son rôle dans cette composition ; un oiseau qui passe, un couple de busards qui crient ou bien un simple bourdon qui sort de son hiver et cherche à butiner. Savigny et Beaune ne sont pas loin. Là juste en contre bas c’est Savigny, le bruit d’une motocyclette, un chien qui aboie, le clocher qui marque les heures toutes ces petites manifestations rassurantes de la vie familière. Plus au loin, le bruit de la civilisation, ce bruit de fond que l’on entend lorsque vient le silence, me rappelle que Beaune n’est pas loin, juste derrière le mont Batois je ne la vois pas mais je l’écoute.Nous sommes en 2006, je suis là et j’imagine ou plutôt, j’essaye d’imaginer ce que voyaient et à quoi pensaient le vigneron du 19ème siècle au milieu de ses vignes plantées « en foule », était il seulement vigneron ou bien gardait-il des chèvres comme le laisse à penser le nom du lieu dit. Je remonte encore un peu l’horloge pour arriver à la Révolution où le peux paysan arrache enfin de la main du clergé ou du seigneur, un lopin de terre qu’il pourra exploiter pour lui, rien que pour lui, puis c’est un serf du Moyen âge qui le remplace, ensuite un gaulois ou un romain qui va patiemment mètre après mètre défricher ces terres pour les cultiver alors que sa tribu ou sa famille s’installe là, juste en bas, le long du ruisseau qui coule et donne de l’eau en abondance et fonde la Villa Saviniaco.Tous sont passés par là tous se sont arrêtés ont admiré le panorama, se sont émus. Ce cailloux que je ramasse et jette est peut-être passé dans leur main ? J’imagine leurs émotions je les compare à la mienne, beaucoup d’entre eux ne savaient pas grand chose de la marche de la terre, que pouvaient ils ressentir devant ce spectacle, devant ce paysage? Et puis qu’est ce qu’a trouvé Néandertal ou Cro-magnon à cet endroit, qu’a-t-il compris de cette masse neigeuse au loin, qui, quand elle apparaissait, provoquait bien souvent le courroux du dieu de la pluie, n’était-ce pas sur ce dôme que siégeait la force mystérieuse qui fait tomber les nuages.De tout ces personnages je ne connais rien, mais pas très loin de moi, là juste derrière, il y a un caillou enfin plus que ça, une grosse roche, un affleurement de calcaire typique du haut des coteaux , la pluie l’a un peu arrondi depuis le temps qu’il est là, eh oui ! Lui ! C’est lui le témoin immortel de nos passages et de nos vagabondages, lui seul les a vu, ces sortes d’hommes hirsutes qui passaient parfois. Ces hommes aux pantalons avec les longues moustaches sous le nez ; il a été le compagnon muet et immobile du serf, du paysan, du chevrier, de tous les chevriers, de tous les vignerons qui se sont succédés venant avec leur âne, leur boeuf, leur cheval, et puis moi avec mon tracteur qui fait tant de bruit et qui sent si mauvais ! !
Et comment seront les suivants ? Comment feront-ils ? Que penseront-ils en voyant surgir de l’horizon ce sacré Mont Blanc. Au fait, lui aussi a tout vu, ici et là-bas, au bord du lac en forme de banane il les a vu tous ces hommes qui venaient de l’Ouest et descendaient les pentes de la Givrine éberlués devant lui, ce monstre de neige et de glace qui par intermittence se coiffe d’un fin nuage, sorte de béret basque en coton, pour les avertir de futures intempéries.
En conclusion je glisse ces quelques vers de E.Marney
"Et je prie en pensant
A ce premier amour du monde
Que jamais ne vienne le jour
Du dernier amour"

Réécoutez Serge Reggiani chanter «le premier amour du monde»
Texte de Pierre Lavenant, ami viticulteur à Savigny-les-Beaune: Pierre.LAVENANT@wanadoo.fr

Commentaires

Anonyme a dit…
Splendide, s'il élève son vin comme il écrit, ce doit être un nectar !!!
Anonyme a dit…
c'est vraiment magnifique ! j'ai le corps est l'esprit qui s'élèvent rien qu'à effleurer l'idée de boire le vin de ce vigneron !
Anonyme a dit…
salut alban et uncplus
si je ne vous ai pas déjà apporté du vin de pierre (en particulier du rosé de marsannay) je n'y manquerai pas la prochaine fois...
Anonyme a dit…
ya intérêt ! tu crois que je peux mettre ce joli texte sur mon blog ?
Anonyme a dit…
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